Après un long intermède, voici le retour de notre rubrique concernant l'histoire du club. Une chronique agrémentée par un supporter tourangeau, Philippe, qui nous fait gracieusement partager ses archives.
Tacle musclé de Landry Poulangoye à l'occasion de Tours - Caen (5ème journée),
illustration du jeu physique du Tours FC.
Poteaux carrés et chapeaux ronds ...
Dans l'imagerie footballistique stéphanoise et même nationale, la référence aux « poteaux carrés » renvoie à l'idée de défaite injuste. Car si l’ASSE échoue en finale de la Coupe des Champions 1976 face au grand Bayern Munich, c'est évidemment à cause des poteaux « carrés » (c'est-à-dire à arêtes vives) du stade de Glasgow qui ont repoussé la frappe de Dominique Bathenay et la tête de Jacques Santini au lieu de favoriser l'entrée du ballon dans le but. L'histoire est belle quand bien même cruelle, la légende est née et « Poteaux carrés » est par exemple aussi bien le nom d'un site de supporters de l’ASSE que le nom d'un restaurant stéphanois. Dans l'imagerie footballistique tourangelle, on n'a pas d'histoires de poteaux carrés à raconter, mais une histoire de chapeaux ronds. Un match de chapeaux ronds plus exactement, lui aussi synonyme et symbole de défaite imméritée. Cette référence à la coiffe traditionnelle de Bretagne nous ramène quelques années en arrière, pendant la saison 1999-2000 qui voit Tours et Brest se tirer la bourre pour la montée dans leur championnat de CFA (groupe D).
Une surprise d'abord pour Tours qui en début de saison ne pensait qu'au maintien et se découvre de nouvelles ambitions au fil des matches sous la houlette d'Albert Falette, ancien joueur du club. Renforcé entre autres par Yenga (Portugal), Andenas (Créteil) ou Fabien (Le Mans) à l'intersaison, l'équipe trouve rapidement la bonne carburation avec les jeunes Varron et Blavin ou les anciens comme Bantiti, Laurent et Gougé. Nous n'en sommes encore qu'à la 13ème journée mais le match qui se profile présente tous les airs d'une première finale dans ce groupe. Brest, grand favori et déjà 1er avec 36 points, reçoit les Bleus en position d'attente deux places et deux points plus loin. Le coup à réaliser est énorme, d'autant que la victoire rapporte quatre points !
Le Tours FC n'a donc rien à perdre et tout à gagner lorsqu'il se présente ce 20 novembre 1999 au stade Francis le Blé. Il aligne : Raimbault – Poulangoye, Yenga, Hamou Mamar, Medjahed, Louis Marie - Gougé, Michaud, Laurent - Fabien, Andenas. Mais s'il n'a rien à perdre, cela ne signifie pas qu'il sera insensible à la pression et avant même la rencontre, certaines interrogations se sont faites jour. Le jeu de Tours est basé sur un impact physique impressionnant et l'on se demande si l'équipe est capable de canaliser son agressivité habituelle dans un contexte inhabituel, un environnement hostile, un public chauffé à blanc, un stade bien garni (4.883 spectateurs).
C'est Brest qui ouvre rapidement la marque par Dugand, reprenant de la tête un coup-franc de Pabois (17ème), mais Louis Marie égalise d'un maître tir au terme d'une longue chevauchée solitaire (26ème). Bis repetita, Dugand reprend de la tête un nouveau coup-franc de Pabois et redonne l’avantage à Brest (33ème). 2-1 pour les bretons à la pause au terme d'une mi-temps qui aura vu les deux équipes développer de belles phases de jeu et se rendre coup pour coup. Tous les observateurs ont remarqué l'engagement des Tourangeaux mais nul n'est en mesure d’imaginer à ce moment-là ce qui va se produire.
Toujours aussi vaillant, Tours égalise après la reprise par Hamou Mamar à la réception d'un coup-franc de Fabien (55ème) et prend même l'avantage grâce à Tony Andenas qui reprend victorieusement de la tête un centre de l'omniprésent Fabien (69ème). Tours est présent, Tours est concerné, Tours domine son sujet et surtout Tours est bien parti pour s'emparer sans discussion d'une première place dont il a su se montrer digne. En face, Brest refuse d'abdiquer mais est dans les cordes comme un boxeur saoulé de coups, une image qui ne va plus le rester très longtemps. Car Tours va tout gâcher en moins de 20 minutes, 16 petites minutes exactement gravées dans la mémoire des supporters des deux camps. Dans ce laps de temps, Tours perd la tête en commettant des fautes plus grossières les unes que les autres.
C'est d'abord Georges Ba, qui vient de rentrer, qui tacle de trois quart arrière un breton au milieu du terrain. Rouge direct ! Si la même faute avait été commise en début de match, sans doute la sanction aurait-elle été différente. Mais nous sommes à la 73ème minute, le terrain et les joueurs sont en feu et il faut bien avouer que l'intervention reste dangereuse même sans intention de blesser ... L'entraîneur Falette est fou de rage : « Expulser Ba alors qu'il vient de rentrer est invraisemblable. Cela valait un jaune. Il a joué et taclé le ballon, je suis formel. Et il prend un rouge ! » L'ambiance est soudainement montée de plusieurs crans. Ba sort sous les huées et adresse un bras d’honneur au public. Un geste qui n'a pas échappé à M. Grelier, arbitre de la rencontre. En tout cas, les tourangeaux sont prévenus, celui-ci n'hésitera pas à prendre ses responsabilités.
Ce que le défenseur Poulangoye n'a pas compris. Alors qu'il est déjà sous le coup d'un avertissement qui ne lui laisse guère de marge de manœuvre, il abat délibérément l'attaquant breton en train de le déborder sur l'aile droite (80ème). L'expulsion est on ne peut plus logique et sa réaction incompréhensible, mélange de colère, de frustration et de sentiment d'injustice laisse augurer que le train bleu est en train de dérailler inexorablement. Les Bleus se recroquevillent en défense mais deux minutes plus tard, à la suite d'une faute de main (involontaire ?) dans la surface de réparation, Guyon transforme le penalty accordé. Nous en sommes à 3-3, ce qui reste une excellente opération. Les Tourangeaux, réduits à neuf, pourront-ils tenir ? D'autant qu'il est clair maintenant qu'ils sont dans le collimateur de l’arbitre qui ne leur laissera rien passer.
C'est pourquoi Andenas n'aurait pas dû tendre la jambe sur cette remontée de balle adverse. Pas un geste vraiment méchant, juste un croc en jambe grossier et spectaculaire sur le joueur breton qui vole dans les airs. Un geste méritant probablement un jaune dans un autre contexte mais pour l'arbitre, trop c’est trop, et il sort le rouge direct de sa poche ! Nous sommes à la 86ème minute, il n'y a plus que huit tourangeaux sur la pelouse et Brest n'a toujours pas réussi à faire la différence.
Pourquoi faut-il alors que dans la foulée Patti Yenga abatte l'ailier adverse d'un tacle appuyé alors qu'il n'y a aucun risque de danger immédiat ? Le défenseur, au lieu de faire profil bas, manifeste son exaspération et pour faire bonne mesure, bouscule un breton venu lui reprocher son comportement. La parole à Albert Falette : « Et il restait une minute à jouer lorsque Yenga se fait sortir. Il y avait 3-3 ... Cela ne vaut jamais un carton rouge, jamais, jamais ! » Analyse emplie de la même mansuétude dans la Nouvelle République : « A la place de l'arbitre, on aurait laissé les Tourangeaux terminer à huit. A une minute près ... Tours avait été assez puni : deux points, trois expulsés. C'était suffisant. » Pourtant, les images ne prêtent pour le coup guère à interprétation. M. Grelier, en la circonstance, n'a guère le choix devant le comportement halluciné de Yenga qui semble ne plus se contrôler. Cette quatrième expulsion signe la fin des espoirs bleus et du match car les Tourangeaux ne sont plus assez nombreux pour avoir le droit de poursuivre la rencontre. M. Grelier renvoie tout le monde aux vestiaires à deux minutes de la fin du temps réglementaire.
Du côté de Tours, on crie évidemment au scandale, Albert Falette déclarant que l'arbitre avait « perdu ses esprits » avant de laisser entendre que l'on cherchait à favoriser Brest dans ce championnat. Alain de Martigny, le coach breton, ne jette pas d'huile sur le feu et pointe plutôt le manque de maîtrise et d'expérience de l'équipe tourangelle, indispensable lorsque l'on pratique un jeu physiquement engagé qui expose logiquement à des sanctions. « Sur le banc, j'étais étonné car j'avais l’impression que Tours perdait le fil conducteur ... C'était comme un suicide. » Une excellente description de la dernière action du match ayant entraîné l’exclusion du quatrième tourangeau, celui de trop.
Les dégâts sont importants
La Fédération donne match perdu à Tours 3-0, qui ne marque même pas le petit point de la défaite, aggravant son retard sur Brest qui terminera premier. Un retard qui ne sera jamais comblé.
En ce qui concerne les sanctions, Poulangoye - pour deux cartons jaunes - écope d'un seul match de suspension mais Yenga et Ba prennent deux matches. Le buteur Andenas, dont la faute semblait la moins dangereuse et relevant du pur mauvais réflexe, est lui étonnement sanctionné de trois matches. Cette rencontre, dans son déroulement et ses conséquences, constitue indéniablement pour de nombreux supporters tourangeaux LE tournant de ce championnat. Incontestablement, LE match qui a empêché Tours d'accéder au niveau supérieur.
Même si nous n'en étions qu'au premier tiers du championnat, même si le Tours FC ne termine qu'à la troisième (et excellente) place derrière Brest (à six points) et Saint Maur Lusitanos (cinq points), et même si l'examen des bons résultats suivants indique qu'il n'a pas trop souffert des absences de ses quatre titulaires ... Mais il est vrai que l'on peut s'interroger sur ce qu'aurait été le parcours de l'équipe en terme de confiance et de dynamique si elle l'avait emporté et s'était emparée à ce moment-là de la première place. A l'inverse, soumise à une pression inédite, n'aurait-elle pas perdu ses nerfs de la même façon face à une autre formation, puisqu'elle a malheureusement prouvé que cela pouvait lui arriver ? On ne le saura jamais et peu importe, il ne sert à rien de refaire une histoire maintenant définitivement écrite. Mais la légende est en marche et la conviction ancrée : on a empêché cette saison-là Tours de monter en le crucifiant à l'occasion d'un match traquenard. Albert Falette accréditera cette thèse en tenant des propos mystérieux : « Je cherche à comprendre pourquoi cette fin de match ? (...) J'ai ma petite idée sur la question mais je ne vous la dirai pas. »
Le seul fait bien établi est que Tours aura l’occasion de remettre les pendules lors de la réception de Brest au match retour. Un 4-0 net et sans bavures sanctionne les débats avec des buts de Michaud, Andenas (2) et Ba. L'occasion de vérifier que les tensions ne sont pas complétement apaisées, ce qui ne se manifeste heureusement cette fois-ci qu'en paroles. Albert Falette et son groupe tiennent leur revanche. Pour eux, c'est clair, Tours reste supérieur à Brest. Pour eux, c'est évident, c'est Tours qui mérite de monter. L'entraîneur tourangeau résume le sentiment général de l'époque : « Brest a été bon sur tapis vert et nous, sur le terrain ». Au-delà de ces considérations, ce match retour permet au Tours FC de faire pièce à cette image inhabituelle d'équipe de « voyous » qui lui colle à la peau depuis des mois. La seule légende qui se soit à ce jour véritablement écroulée ...
Oncle Phil
82ème minute, M. Grelier vient de siffler penalty.
Armand Raimbault s'interpose entre lui et Stéphane Gougé
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